Olavo de Carvalho
Folha de S.Paulo, 6 de outubro 2004

Cet article a été publié originalement en anglais le 17 mai 2004 sur FrontPageMag.
Traduction française par Menahen Macina, mis en ligne le 09 août 2004 sur le site http://www.upjf.org.

Depuis la guerre d’Algérie (1954-1962), l’idée d’une “guerre asymétrique” est devenue le principe de base de la stratégie anti-Occident. Inspiré de la “guerre indirecte”, de Sun-Tzu – dont L’art de la guerre était déjà diffusé en éditions officielles en URSS et chez ses satellites, dans les années 50 -, ce concept est essentiellement celui d’un combat dans lequel l’un des protagonistes n’accepte aucune forme d’entrave à ses actions. Il entend faire ce qui lui plaît et se prévaut cependant, comme d’une arme, des engagements moraux, légaux et sociaux qui lient les mains de son adversaire. C’est l’expression militaire de l’adage, formulé en 1792 par Collot d’Herbois, délégué à la Convention française:

“Tout est permis à ceux qui agissent en faveur de la révolution.”

Un analyste stratégique, le commandant canadien de marine, Hugues Letourneau, remarque que le FLN (Front National de Libération de l’Algérie) avait régulièrement recours aux :

“grèves, embuscades, terrorisme contre sa propre population et contre d’autres organisations algériennes de libération, assassinat, torture, mutilation, extorsion de grosses sommes d’argent de la population civile, sabotage industriel et agricole, destruction de biens publics, intimidation et exécution de collaborateurs présumés, campagnes de désinformation, etc.”

Dans le même temps, le plus infime acte illégal de la part des forces d’occupation était exploité par des militants intellectuels de Paris, pour exercer un chantage moral conçu de telle sorte qu’il condamnait le gouvernement français à la paralysie, par crainte d’un scandale.

Pour réaliser son objectif, l’asymétrie doit s’imprimer profondément dans les habitudes de jugement des gens, afin que l’opinion publique ne détecte pas l’immoralité intrinsèque des exigences, prétendument morales, qu’elle impose à l’un des protagonistes, tout en accordant à l’autre le bénéfice d’un silence indifférent ou complice. On peut prendre pour exemple l’inégalité de traitement de l’occupation de l’Irak par rapport à celle du Tibet, calculée de manière à faire pénétrer dans l’esprit du public l’impression qu’une opération militaire provisoire – conçue, comme aucune autre ne l’a été dans l’histoire, pour éviter de causer des dommages à la population civile – est un crime plus grave que l’occupation préméditée et permanente, et la destruction d’une culture plus que millénaire, ainsi que le génocide permanent d’un peuple, qui a déjà fait un million de victimes. L’asymétrie, dans ce cas, est devenue chose si normale et contraignante, que le seul fait de suggérer une comparaison entre le comportement américain et celui des Chinois semble déjà non seulement anhistorique, mais également de mauvais goût et suspect d’être lié à “d’obscurs intérêts”, invariablement “financés par Wall Street” (le présent article ressortissant évidemment à cette catégorie !). De même, une demi-douzaine d’abus sanglants commis par des soldats américains en Irak – chose inévitable dans toute guerre, malgré un strict contrôle des troupes – sont présentés, dans les médias, comme des actes d’une cruauté plus honteuse que la pratique courante de la torture et de l’assassinat politique en temps de paix, qui est chose commune dans les pays communistes et islamiques, sans parler de la persécution religieuse (jamais mentionnée au Brésil), qui a déjà tué plus de deux millions de chrétiens, au cours des dernières décennies.

La guerre asymétrique est plus facile à mener pour des organisations révolutionnaires, qui ne sont pas soumises aux mêmes normes que les Etats constitués [à cause de l’inconsistance de la social-démocratie]. Mais il arrive que certains Etats utilisent la même stratégie. Le livre récent de deux colonels chinois, The War beyond the Rules” [“La guerre qui outrepasse les règles”], publié en 1999, montre que le gouvernement chinois est profondément impliqué dans la guerre asymétrique contre l’Amérique. Et cette guerre ne serait pas asymétrique si, dès que son concept est tombé dans le domaine public, l’accusation d’être responsable d’un recours massif à ses techniques redoutables, n’avait été formulée à l’encontre de sa victime principale. Quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, l’hebdomadaire français Le Monde Diplomatique, avec une hypocrisie non déguisée, parlait de “la stratégie américaine officielle de la guerre asymétrique”. Il n’expliquait évidemment pas comment les Etats-Unis pourraient se lancer dans une guerre asymétrique tout en étant, en même temps, le pays le plus exposé du monde au jugement de l’opinion publique, et qui ne peut compter sur un réseau organisé de défenseurs – dans les médias internationaux, ou même américains – comme celui dont disposent les mouvements de gauche, qui sont aujourd’hui capables d’imposer, en quelques heures, à toute la population de la planète, leur version des événements, créant, de ce fait, une sorte de convergence spontanée.

“La force du terrorisme, ce sont les médias”, affirme Jacques Baud, auteur de La Guerre asymétrique, ou la défaite du vainqueur, Paris, 2003.

Toute l’opération acquiert bien plus d’efficacité quand elle est effectuée sur un terrain qui a été au préalable préparé par l'”occupation des espaces”, prêchée par Antonio Gramsci. En bloquant quelques sources d’information et en en choisissant d’autres, [cette occupation des espaces] prédispose le public à accepter comme normale et innocente la manipulation idéologique la plus mensongère dans les reportages.

Au Brésil, par exemple, l’accès à l’opinion des conservateurs américains a été banni. Leurs livres – des milliers de titres, dont bon nombre sont des classiques de la pensée politique – ne sont jamais traduits, et on ne peut les trouver dans aucune bibliothèque universitaire. Leurs idées ne sont portées à la connaissance du public que de manière déformée et caricaturale, dans la version communiste officielle réalisée en 1971 par l’historien soviétique V. Nikitin, dans le livre intitulé “Les Ultras aux Etats-Unis”. Cette caricature est encore transmise docilement, de génération en génération jusqu’à aujourd’hui, dans les écoles et les journaux, par un groupe de militants experts en hypocrisie et par une multitude d'”idiots utiles” qui n’ont pas la moindre idée de l’origine de leurs opinions.

Comment quelqu’un qui est élevé dans cet environnement peut-il se douter qu’il y ait quoi que ce soit à redire aux attaques des médias, qui font de George W. Bush une espèce de Staline de droite ?

Briser ce blocus est un défi qui ne peut être relevé seulement par des individus travaillant dur et instruits, au prix de travaux de recherches qui sont hors de portée du citoyen moyen. Outre que la voix de ces individus semble ridiculement inaudible quand ils essayent d’avertir la population de la réalité effrayante suivante: depuis l’avènement de la stratégie asymétrique, la désinformation – au sens technique et littéral du terme – la désinformation comme arme de guerre, est devenue l’occupation la plus constante et la plus régulière des grands médias, au point de supplanter presque entièrement la tâche qui était celle du journalisme.

Le danger auquel la population est exposée, de ce fait, est évidemment monstrueux. Il ne diminuera pas tant que la société civile ne s’emploiera pas à exercer une “surveillance extérieure” des médias, assignant en justice tous ceux qui refusent de transmettre, de manière fiable et quantitativement équilibrée, l’information et les opinions provenant de sources divergentes.

Olavo de Carvalho *

© FrontPageMagazine.com pour l’original anglais, et upjf.org pour la version française

* Auteur et philosophe brésilien, né en 1947, Olavo de Carvalho est l’auteur, entre autres, de Os Gêneros Literários: Seus Fundamentos Metafísicos (“Les genres littéraire et leurs fondements métaphysiques”, 1996) ; Aristóteles em Nova Perspectiva (“Aristote dans une nouvelle perspective”, 1997), O Jardim das Aflições: Ensaio sobre o Materialismo e a Religião Civil (“Le jardin des afflictions : Essai sur le matérialisme et la religion laïque”, 1998), O Futuro do Pensamento Brasileiro(“L’avenir de la pensée brésilienne”, 1998), O Imbecil Coletivo, I et II (“L’imbécile collectif”, I et II). Il est actuellement en charge du Séminaire de Philosophie au Centre Universitaire de la ville de Rio De Janeiro. Il est également chroniqueur pour les journaux O Globo (Rio De Janeiro), Jornal da Tarde (São Paulo), Folha de São Paulo (São Paulo), et Zero Hora (Porto Alegre).

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